Média le Prudent

Pascale Ponsart

English translation

Il était une fois, il y a bien longtemps dans un royaume très lointain, un roi très sage. Pacifique, il avait su maintenir la paix avec ses voisins plus guerriers. Son peuple vivait dans une belle tranquillité et une bonne opulence. Mais rien n’existe pour durer. L’un de ses courtisans réussit à devenir son conseiller. L’histoire a retenu son nom : Média.
Média n’avait qu’un but : que le peuple soit en sécurité au sein du royaume. C’est ainsi qu’il avait acquis la confiance du roi qui n’était pas du tout un guerrier comme son père. Très vite, Média fit sonner tambour pour alerter le peuple :
« Des ogres écument nos campagnes. Il vous faut protéger vos enfants. Ils doivent rester chez vous pour être en sécurité. Ordre du roi ! »
Terrorisés, les habitants interdirent à leurs enfants de quitter leur domicile. On raconte que les enfants qui parcouraient les environs sur 10 km durent se contenter de 200 m. Cloîtrés, sans pouvoir être en meute comme l’oblige le fait d’être humain, ils restaient vautrés sur leur lit en mangeant des friandises. Des médecins dirent qu’ils devenaient obèses et avaient perdu 25 % de leur capacité physique, personne ne les écouta. Pire, les gens surent alors qu’ils ne pourraient fuir si un ogre les poursuivait. Depuis, on ne vit plus des bandes d’enfants courir dans les campagnes en y vivant toutes les aventures qu’ils s’inventaient.

Un jour, Média se rendit compte qu’une maladie menaçait. On l’appelait le Sita. Le Sita n’était pas très contagieux mais Média alerta le roi :
« Et si la transmission se faisait par l’air ? Tout le monde risque de l’attraper et de mourir. »
« Tu as raison, lui dit le roi. Il faut les isoler avec les lépreux ! »

L’année suivante, quelqu’un alerta Média :
« Il existe des vaches bizarres, comme folles. Certains paysans semblent devenir malades comme elles. Que faire ? »
« Tuons tous les troupeaux où existe une vache malade ! C’est plus prudent. »
Et des milliers de bovins finirent ensevelis dans d’immenses fosses. Les autres furent parqués dans de vastes hangars défendus comme des forteresses. Mais, il y a toujours à faire pour protéger :
« Il y a des moutons qui tremblent bizarrement. C’est sûrement dangereux ! »
« Qu’on leur coupe la tête ! »
Les survivants furent enfermés dans des enclos bien fermés. Les oiseaux se mirent à mourir par centaines. Les habitants du royaume étaient épouvantés. Les tambours du roi les avaient prévenus :
« Les oiseaux peuvent nous transmettre leur maladie. La plus grande prudence s’impose. »
Ce fut ensuite les cochons qui allaient mal. Les anciens connaissaient le nom de leur maladie. Elle faisait peur : la peste porcine.
« Cette peste peut peut-être se transmettre à l’homme et nous risquons tous mourir dans des douleurs abominables ! La fin est proche. »
Une nouvelle maladie apparut : le Cras, la pire des pires. Le temps que Média passe à la suivante : la grippe surnommée C’est la fin pour demain, celle qui avait tué des milliers de personnes lors de la dernière guerre. Cette guerre avait été faite par le précédent souverain, père de l’actuel. Elle avait été très longue, plus de 5 ans, laissant derrière elle un peuple affamé et désespéré. On racontait que les femmes qui y avaient perdu leur mari et leurs fils priaient la grippe pour qu’elle les emmène auprès de leurs chers disparus.
Il y eu une autre grippe, Feu de dieu par manque de foi, qu’on oublia vite, car… Survint Eboula qui avait commencé à sévir dans un autre pays où les gens mourraient de la guerre, de la famine, de la tristesse. Les humains y tombaient comme des mouches. Allez savoir pourquoi !
Média n’en avait pas encore fini : il dut combattre la terrible maladie d’une lointaine contrée transmise par les moustiques qu’on appela le Chikougultra. Les tambours battirent la campagne pour que les habitants détruisent les moustiques, ce qui n’était pas une mince affaire.

Mais le pire était encore à venir. Le royaume fut envahi par un nouveau Cras : Le Carona. Une épouvante absolue. Le Carona exterminait surtout les malades, les vieux et même des gens en fin de vie. Les vieux ont toujours eu cette vilaine manie de vouloir mourir avant les jeunes. On racontait même que Carona tuait parfois des jeunes. Il avait démarré dans un pays de l’autre côté du monde qui avait choisi d’isoler 3,57 % de sa population. Ses dirigeants très précis en statistiques affirmaient qu’ainsi ils avaient pu éliminer tous les risques présents et à venir de contamination.

Quand le Carona atteignit le royaume, Média ne connaissait donc qu’une solution : isoler tout le monde. Il fit battre tambour :
« Rentrez chez vous sinon nous allons tous mourir par votre faute ! Vous, vos enfants, vos amis, vos amours ! Soyez maudit si vous les contaminez et leur transmettez la mort, l’horrible mort. »

Quelques chamanes tentèrent de voir le roi pour le raisonner :
« C’est grand danger de mettre tout le monde en prison. Qui sera là pour les champs et l’élevage ? N’est-il pas plus sage de tenter de prévenir le mal par les préventions que nous connaissons depuis toujours… Majesté, pourquoi une telle peur de la mort ? La mort n’est pas le contraire de la vie. Elle n’est que le contraire de la naissance. Beaucoup de gens meurent de beaucoup de raisons différentes. Faut-il abattre tous les chevaux pour éviter les accidents de transports, tous les bateaux pour qu’il n’y ait pas de noyade ? Depuis toujours, la vie n’est-elle pas une grande aventure qui se termine toujours par la mort, une mort qui ne fait que nous ramener de là d’où on vient ? »
Le roi ne les laissa pas finir et les fit chasser de son royaume.

Et les habitants continuèrent par peur à se calfeutrer dans leur maison.

Certains humoristes osèrent dire : « La maison et surtout le lit sont les endroits les plus dangereux du monde. C’est souvent là qu’on y meure. »
Ils furent interdits de spectacle et finirent dans la misère.

Pendant ce temps, de l’autre côté de la frontière, l’ennemi héréditaire du bon roi, un empereur guerrier fut mis au courant par ses espions :
« Oui, sérénissime, dans tout le royaume, le peuple et même les soldats sont terrorisés, enfermés. Ils se sont volontairement emprisonnés. Depuis longtemps on les a empêchés de vivre pour les empêcher de mourir. C’est du moins ce qu’on leur a fait croire. Ils sont physiquement et psychologiquement diminués, déjà à terre. Plus personne n’a plus de courage dans le royaume d’à côté. Ils ont oublié la dignité, la vaillance et la lutte. Ils ne connaissent plus que subir et fuir. Ils ont peur de vivre par peur de mourir. L’occasion est trop belle. »

L’empereur envoya une missive de déclaration de guerre au roi. Il ne la reçut jamais. Les postiers ne travaillaient plus depuis longtemps.

L’empereur fit envahir le royaume par ses armées. Les soldats étaient un peu désemparés de devoir massacrer des populations enfermées dans leurs maisons. Mais le boulot, c’est le boulot, et ils le firent sans conviction mais avec vigueur. Comme l’empereur l’avait ordonné, ils gracièrent les jeunes hommes et femmes qui après une bonne éducation deviendraient vite des esclaves dociles. Ils étaient d’ailleurs persuadés que leurs ennemis n’étaient qu’une race d’esclaves. Cette certitude facilitait leur tâche d’envahisseur et les lavait de tout sentiment de culpabilité ou de remord.

« A vaincre sans péril, on gagne à tous les coups ! » les félicita l’empereur.

Quand il prit possession du pays, l’empereur fit graver sur les édifices sa devise :

« Plutôt mourir debout que vivre à genoux »

Quant à Média, il réussit à s’enfuir en emportant la caisse. Dans un autre royaume, il entra en religion. Son nouveau Dieu avait pour nom Dionysos : un Dieu de la fécondité. Média lui fut un adepte parfait. Tous les jours de sa très longue vie, il lui rendit un culte presque fanatique accumulant fêtes, festins, orgies et beuveries pour lui rendre hommage.

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Nota Bene : bien entendu, toutes ressemblances avec des faits et des personnages actuels ou ayant existé seraient totalement invraisemblables et même inconcevables.